Jean Jacques Rousseau

 

En soupant lentement sous une treille brune

Dont les beaux muscats blancs luisaient au clair de lune

Tandis que pour moi seul, dans la nuit, un oiseau

Chantait vers le tilleul, je pensais à Rousseau...

Un soir divin et frais venant après l'orage.

Devant le banc de bois du rustique ermitage,

Une jeune servante avait mis le couvert.

Quelques gouttes tombaient du feuillage plus vert.

Un vase, sur la table, était plein de pervenches,

Madame d'Epinay portait -c'était Dimanche,

Son chapeau de bergère et son corsage ouvert.

Pure fraîcheur du soir! On apportait la lampe,

et Jean-Jacques songeait, un doigt contre sa tempe.

La serveuse heurtait les plats dans la maison.

L'étoile du berger montait à l'horizon,

Et quand mourait au loin le bruit du char qui rentre

On entendait couler la source dans son antre

Et chanter la rainette et le grillon perdu.

Madame d'Epinay caressait son bras nu,

Rose et rond sur la table, et parfois son haleine

Dans son corsage creux enflait sa gorge pleine

Qu'une tremblante et tiède ligne séparait.

Un léger vent coulis qui passait murmurait

Dans les arbres du parc une plainte endormie,

Et Rousseau, souriant, regardait son amie,

En feuilletant distrait un petit livre gris,

A côté d'un panier plein de cerises blanches,

Un petit livre simple et sans ors sur les tranches

Que Denis Diderot envoyait de Paris.

 

Léo Larguier

(1876,1950)_

 

De même que Rousseau jadis fondait en pleurs

A ces seuls mots: « Voilà de la pervenche en fleurs, »

Je sais tout le plaisir qu’un souvenir peut faire.

Un rien, l’heure qu’il est, l’état de l’atmosphère,

Un battement de cœur, un parfum retrouvé,

Me rendent un bonheur autrefois éprouvé.

C’est fugitif, pourtant la minute est exquise.

Et c’est pourquoi je suis très heureux à ma guise

Lorsque sur le Cours Victor Hugo je puis voir

Un calme ciel d’Octobre à cinq heures du soir

François Coppée

 

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