PROMENADES ET INTERIEURS

I

Lecteur, à toi ces vers, graves historiens

De ce que la plupart appelleraient des riens.

Spectateur indulgent qui vis ainsi qu’on rêve,

Qui laisse s’écouler le temps et trouves brève

Cette succession de printemps et d’hivers,

Lecteur mélancolique et doux, à toi ces vers!

Ce sont des souvenirs, des éclairs, des boutades,

Trouvés au coin de l’âtre ou dans mes prommenades,

Que je veux te conter par le droit permis

Qu’ont de causer entre eux deux paisibles amis.

XXI

N'est-ce pas? Ce serait un bonheur un peu vulgaire

D'être, non pas curé, mais seulement vicaire

Dans un vieil évéché de province, très loin,

Et d'avoir tout au fond de la nef, dans un coin,

Un confessionnal recherché des dévotes.

On recevrait des fruits glacés et des compotes;

On serait latiniste et gourmet achevé;

Et, par la rue où l'herbe encadre le pavé,

On viendrait tous les jours une heure à Notre-Dame,

Faire un somme, bercé d'un murmure de femme.              

XXVI

Je rêve, tant Paris m'est parfois un enfer,

D'une ville très calme et sans chemin de fer,

Où, chez le sous-préfet, en vieux garçon affable,

Je lirais, au dessert, mon épître ou ma fable.

On se dirait tout bas, comme un mignon pêché,

Un quatrain très mordant que j'aurais décoché.

Là, je conserverais de vagues hypothèques.

On voudrait mon avis pour les bibliothèques;

Et j'y rétablirais, disciple consolé,

Nos maîtres, Esménard, Lebrun, Chênedollé.

XIX

En province, l'été. Le salon Louis seize

S'ouvre sur un jardin correct, à la française;

Des ormeaux ébranchés, deux cygnes, un bassin;

Une petite fille, assise au clavecin,

Joue, en frappant très clair les touches un peu dures,

Un andande d'Haydn plein d'appogiatures.

Et le grand père, un vieux en ailes de pigeon,

Se rappelle, installé dans son fauteuil de jonc,

Le temps où, beau chasseur, il courrait la laitière,

Et marque la mesure avec sa tabatière.

XXIV

Dans ces bals qu'en hiver les mères de famille

Donnent à des bourgeois pour marier leur fille,

En faisant circuler assez souvent, pas trop,

Les petits-fours avec les verres de sirop,

Presque toujours la plus jolie et la mieux mise,

Celle qui plaît et montre une grâce permise,

Est sans dot, -voulez-vous en tenir le pari?-

Et ne trouvera pas, pauvre enfant, un mari.

Et son père, officier en retraite, pas riche,

Dans un coin, fait son whist à quatre sous la fiche.

XXX

Sur un trottoir désert du faubourg Saint-germain,

Près d'un discret abbé qui lui donne la main,

Le marquis de douze ans vient de la messe basse:

En noir, en grand col blanc, timide et fier, il passe,

Mais chétif et pâli par un sang trop ancien;

Et nul ne porte un nom plus fameux que le sien.

Il rentre. C'est le jour de sa leçon d'histoire;

Et le prêtre médite une ruse oratoire

Pour dire au noble enfant en des termes adroits

Ce que fut son aïeul, mignon de Henri Trois.

 

XXIII

De la rue on entend sa plaintive chanson.

Pâle et rousse, le teint plein de taches de son,

Elle coud, de profil, assise à sa fenêtre.

Très sage et sachant bien qu'elle est laide peut-être

Elle a son dé d'argent pour unique bijou

Sa chambre est nue, avec des meubles en acajou.

Elle gagne deux francs, fait de la lingerie

Et jette un sou quand vient l'orgue de barbarie.

Tous ses voisins lui font leur bonjour le plus gai

Qui leur vaut son petit sourire fatigué.

V

Le soir, au coin du feu, j’ai pensé bien des fois

A la mort d’un oiseau quelque part dans les bois.

Pendant les tristes jours de l’hiver monotone,

Les pauvres nids déserts, les nids qu’on abandonne,

Se balancent au vent sur un ciel gris de fer.

Oh ! Comme les oiseaux doivent mourir l’hiver!

Pourtant, lorsque viendra le temps des violettes,

Nous ne trouverons pas leurs délicats squelettes

Dans le gazon d’avril où nous irons courir.

Est-ce que les oiseaux se cachent pour mourir?

XXXI

Elle sait que l’attente est un cruel supplice,

Qu’il doit souffrir déjà, qu’il faut qu’elle accomplisse

Le serment qu’elle a fait d’être là, vers midi.

Mais, parmi les parfums du boudoir attiédi,

Elle s’est attardée à finir sa toilette,

Et devant le miroir charmé qui la reflète,

Elle s’impatiente à boutonner son gant;

Et rien n’est plus joli que le geste élégant

De la petite main qui travaille; et, mutine,

Elle frappe le sol du bout de sa bottine.

XXXVIII

Comme le champ de foire est désert, la baraque

N’est pas ouverte, et sur son perchoir le macaque

Cligne ses yeux méchants et grignote une noix

Entre la grosse caisse et le chapeau chinois;

Et deux bons paysans sont là, bouche béante,

Devant la toile peinte où l’on voit la géante,

Telle qu’elle a paru jadis devant les cours,

Soulevant décemment ses jupons un peu courts

Pour qu’on ne puisse pas supposer qu’elle triche,

Et montrant son mollet à l’empereur d’Autriche.

XXXII

De même que Rousseau jadis fondait en pleurs

A ces seuls mots: « Voilà de la pervenche en fleurs, »

Je sais tout le plaisir qu’un souvenir peut faire.

Un rien, l’heure qu’il est, l’état de l’atmosphère,

Un battement de coeur, un parfum retrouvé,

Me rendent un bonheur autrefois éprouvé.

C’est fugitif, pourtant la minute est exquise.

Et c’est pourquoi je suis très heureux à ma guise

Lorsquesur le Cours Victor Hugo je puis voir

Un calme ciel d’Octobre à cinq heures du soir.